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Dépêche Mode
(Juillet 1997)
"Putaing
de voix ! Cette gonzesse à une putaing de voix !"
C’était
en 88, là-haut, rue du Plateau, un dimanche après-midi dans
feu les studios de la SFP, aux Buttes-Chaumont. C’était fin
88 et du haut de ses cent-soixante-cinq centimètres, Nougaro ne
tarissait pas d’éloges sur la dite gamine qui s’époumonait
live pour un talk-show aujourd’hui oublié de Patrick
Poivre-d’Arvor. C’était en coulisse - le taurillon
toulousain attendait son propre passage - avec, pour seuls témoins,
un petit écran bi-chrome fiché au plafond et nous-mêmes.
Nougaro soliloquait à entendre la "gonzesse" en
question, une mioche d’à peine vingt-deux ans, qui croyait
chanter le blues en feignant tirer des chorus d’une
trompinette bidon. D’emblée on ne retenait que ça : sa voix.
Putaing de voix, tu l’as dit.
"A
partir de sept ans, j’étais cette petite fille qui avait une
voix… différente. Et je le suis restée." Un
handicap ? L’inverse plutôt : les seules moqueries dont elle
se souvienne ne concerne que les pitoyables jeux de mots autour
de son patronyme et dont nous vous ferons cette fois grâce. Pas
grave : c’est vraiment loin. Et aujourd’hui, Patricia Kaas
semble quasi indestructible. Par parce qu’elle aurait exacerbé
ce côté glacial qu’on lui reprocha plus que de raison, mais
parce qu’au contraire, elle n’est plus froide du tout. Elle
a mûri. "Il y a comme ça des caps où on se cherche un
petit peu soi-même, parce qu’on ne se connaît pas encore
bien. On ne vit qu’au travers d’une voix - c’est ça qui
fait qu’on te connaît - et l’image que les gens te
renvoient de toi. Des étiquettes. Et c’est vrai que j’avais
ce côté mélancolique, triste, timide… Mais pas dans la vie
de tous les jours. J’ai grandi..."
On
rappelle aux amnésiques (et à tous ceux qu s’en seraient
jusque-là foutus) que Patricia Kaas est née d’une mère
allemande et plutôt mélomane et d’un père français et carrément
mineur, du côté du Forbach, dans un gros bourg toujours appelé
Stiring-Wendel. Mais que, ce n’est ni la langue de Goethe ni
celle de Barbelivien que la belle au départ parla. Non, mais le
"platt", façon de teuton quasi néandertalien ("C’est
moche, c’est pas beau. Pas comme le vrai allemand"). Et
tout ça se passait, Mesdames et Messieurs, il y a tout juste
trente ans. C’est peut-être simplement ce passage d’une génération
à l’autre qui explique les changements sus-évoqués…
"C’est le temps qui parle… et puis vivre avec un
homme (le chanteur compositeur belge Philippe Bergman NDLR) ça
te donne de l’équilibre. Avant, j’étais plutôt du genre tête
baissée dans un resto quand il y avait des jolies filles !
Aujourd’hui, je me dis : Il faut que tu fasses avec ce
que tu es. Si tu ne t’aimes pas, comment veux-tu que
les gens t’aiment ? Tu peux être la plus jolie fille du
monde, si dans ta tête tu n’es pas à l’aise, tu n’es pas
jolie. Et ça, ça a changé dans ma tête…"
En
cet après-midi de mai 97, alors qu’on la (re)découvre devant
une tasse de thé à laquelle elle ne portera aucune attention
pendant les soixante-quinze minutes de l’entretien qui
suivront, Mademoiselle Kaas resplendit dans le salon de l’ultra-branchissime
et déjà énervant hôtel Costes. Dehors, une grappe de
gamins-gamines s’impatiente sous l’ondée sans qu’on ait
vraiment compris qui était là pour Elle et qui pour Lui, lui
David Charvet qu’on vient de croiser en train d’autographer
un calendrier tout à sa gloire à la fille de l’accueil qui
n’en peut mais… La Kaas, on ne peut plus belle dans son
pantalon de cuir marron, boots à élastiques en daim assorties,
et cheveux raides ainsi qu’à la une de son album tout fraîchement
sorti : Dans ma chair. Resplendissante malgré
l’enchaînement : New York (pour y finir les voix de son
premier album américain, mais on y revient), Scandinavie (télé
direct entre autres) et donc Costes où elle assure sans
broncher une promo qu’on aurait pensée inutile. "On ne
m’oblige pas : personne m’oblige, non, je pense juste que la
promo c’est important. Parce que les gens ont besoin de
savoir. Pourquoi t’as fait cette chanson ? Y a que toi qui
peux expliquer ça et c’est pour ça que je n’ai rien
contre. Et puis, la musique c’est devenu tellement difficile
que, quand on me passe à la radio, je suis contente. Et tu
sais, je rame ! C’est pas parce que je m’appelle Patricia
Kaas et que j’ai vendu des millions d’albums que, quand mon
disque arrive, on le passe forcément. C’est pas vrai."
A Hambourg, lors d’une précédente rencontre, une heure après
un récital impec, où, moulée dans une robe Alaïa, elle
consentait enfin à faire montre d’un peu de sensualité, elle
nous était apparue d’une excessive fragilité. Quasi
transparente, diaphane. Nos yeux n’en avaient que pour cette
peau d’un blancheur insensée. Maladive ? C’était il y a
trois ans. Si elle n’a, à l’évidence, pris ni couleurs (ça
tombe bien, être blanche c’est la mode cette année)
ni poids, Patricia Kaas n’a aujourd’hui strictement plus
rien d’un anémique. Plus rien de la gamine un peu gauche qui
reprenait New York New York pour les clients du
Rumpelkammer,
un cabaret de Sarrebruck où elle se produisit de treize à
vingt ans avant d’être "découverte" par un
proche des Depardieu. Et c’est moins dans le lait de sa peau
que dans le lagon de ses yeux qu’on se surprend désormais à
vouloir se noyer. Est-ce une prémonition dudit trouble ?
Toujours est-il que nous sommes arrivés sans un exemplaire du
dernier Dépêche Mode, Caramba ! "Pas
grave, je connais par cœur. C’était quoi déjà le dernier ?
J’ai vu le Béatrice Dalle, j’ai vu le Vanessa… Ah oui,
dans le dernier il y avait quatre pages sur les nouveaux créateurs.
Je connais bien."

"En
fait, j’essaie le plus possible de m’intéresser à la mode
: j’aime aller aux défilés, mais bizarrement ils tombent
toujours quand je suis en tournée ou à l’étranger. Alors,
je m’informe dans les magazines de mode, j’en achète
beaucoup, je lis, je feuillette, je vois tout ce qui se passe.
Je découpe les photos et je les colle dans un de mes deux
petits carnets. Le premier est comme un petit catalogue que
j’appelle "Ma boutique" et où je mets des
looks, des tenues que j’aime bien. Je le regarde le matin et
je me dis : tiens, aujourd’hui je vais m’habiller
comme ça". L’autre carnet ? "J’y mets les choses, les
détails qui me plaisent et que je voudrais acheter. Un truc de
chez Gucci, par exemple. Alors je téléphone et je dis : alors voilà, à telle page de tel magazine, j’ai vu
ça, etc. Et c’est comme ça que je fais : c’est
quasiment de la vente sur catalogue. Parce que j’adore faire
les boutiques, mais avec mon emploi du temps… Je suis obligé
de faire comme ça. Sinon, je passerai à côté des collections
et ça m’embêterait vraiment, parce que je suis folle de
fringues ! C’est mon luxe, je ne me prive pas…" On
l’a vu en Alaïa donc, mais aussi sapée Corinne Cobson, Junko
Shimada, Gucci ou Lagerfeld. Aujourd’hui, ses choix la portent
plutôt vers Dries Van Noten, Plein Sud ou Isabel Marant. Jamais
maquée à une ligne, un créateur, même si, dans le cadre
d’une tournée, ça ne la dérangerait pas d’être prise en
main par un seul couturier. Mais, même pour la prochaine (qui
passera par Bercy les 5, 6 et 7 février prochains… les réservations
ont commencé en mars), il n’y a rien de prévu, rien de signé.
Alors, passons à la musique… Avec ce constat : il aura fallu
beaucoup de temps pour accoucher du nouvel album, Dans
ma chair.
"En
fait, si l’on calcule les jours, l’enregistrement a pris
trois mois, ce qui n’est pas long. A ça, il faut ajouter six
à sept mois pour trouver les chansons. Et au départ, il y en
avait plus de deux cents ! J’ai retenu quelques chansons françaises
(Goldman, Barbelivien-Bernheim, Langolff, Kopf), sinon le reste
est plutôt américain. Et puis il y a deux reprises : Chanson
simple, de Lyle Lovett (l’ex-Monsieur Julia Roberts
NDLR) et Don’t let me be lonely tonight de
James Taylor, qui est venu chanter en duo pour le disque. Il est
cool, il m’a dit : Le jour où tu fais un truc à
Paris, si tu veux que je vienne, pas de problème. Sinon, c’est vrai qu’il y a eu le décès de mon papa entre
temps et que ça a freiné : on a arrêté, on a repris, mais je
n’arrivai pas à chanter. Même si ce n’était pas des
chansons qui lui étaient dédiées, ce n’était pas facile de
chanter des choses comme "C’est une chanson simple que
je te donne / aussi facile qu’elle est tendre"…
J’avais du mal… ça a un peu tiré l’album… Peut-être
qu’il y a plus d’émotion à cause de ça… Je ne sais pas."
Si l’ensemble de l’album constitue une suite logique à son
précédent Je te dis vous (à preuve : des
chiffres de vente d’une belle constance) et qu’il n’est,
à ce titre, guère surprenant, Dans ma chair ne
manque pas d’étonner par cette petite phrase imprimée au
verso du CD : Réalisé par Phil Ramone et Patricia Kaas.
"Ce
n’était pas prévu au début. Bien sûr, j’avais des idées,
mais je me disais : Tu vas pas l’ouvrir trop ; Phil
Ramone (producteur artistique de Sinatra, Billy Joel, Sinead
O’Connor et autre Paul Simon pour ne citer qu’eux NDLR),
c’est pas n’importe qui ! Mais c’est lui qui, au
fur et à mesure, me l’a proposé. J’ai beaucoup joué avec
les stéréos, j’ai dirigé les voix et, comme j’avais
vraiment envie de m’impliquer, j’ai fait les mixes avec
l’ingénieur du son. Mais je me suis beaucoup moins impliquée
dans la réalisation de l’album en anglais qu’on
enregistrait en même temps à New York." Or donc, album
américain il aura, album dont on ne connaît pour l’instant
pas le titre mais que les Yankees devraient découvrir en
septembre. Un album radicalement différent de Dans ma
chair et de tout ce qu’on connaît d’elle. Un album
globalement plus rock avec des influences trip-hop revendiquées
par la belle. Un album pour lequel elle a beaucoup travaillé sa
prononciation de l’anglais. Difficile de ne pas faire la
comparaison avec Céline Dion qui, outre ces quelques points,
partage avec Patricia Kaas maison de disques (Columbia-Sony),
parolier (Goldman) et popularité dans l’Hexagone.
Vendra-t-elle autant de disques outre-Atlantique que "cousine"
Céline ? "Il va falloir que je m’accroche ! Parce
qu’elle, aux Etats-Unis, elle a fait fort : elle a dû vendre
seize millions du dernier là-bas. J’en demande simplement dix
pour cent. Un petit million, c’est tout !" Quoi qu’il
en soit, elle jure toujours vouloir privilégier sa carrière
européenne et plus spécifiquement hexagonale, en y incluant éventuellement
quelques projets par la case ciné. Deux propositions de rôles
lui collant idéalement à la peau lui sont passées sous le nez
sans qu’elle en soit responsable : elle devait jouer la fille
de Depardieu dans le Germinal de Claude Berri
(son emploi du temps ne le lui permettant pas, c’est Judith
Henry qui s’y est collé) et plus récemment, Stanley Donen
lui avait demandé d’être Marlène Dietrich à l’écran.
Faute de moyens, le projet est tombé à l’eau. Dommage : ç’aurait
probablement permis à la Kaas d’en finir avec le fantôme de
Lola Lola… Ni Marlène, ni Piaf, juste Kaas. Elle a mûri
qu’on vous dit.
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