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Elle (Novembre
1999)
Vincent
Ravalec possède tous les albums de Patricia Kaas. Pour la
rencontrer, il a pris l'avion direction Francfort. Résultat :
un duo de charme entre l'auteur de "Cantique de la
racaille" et l'ex-petite fille de Forbach, à la veille de
ses concerts au Zénith du 12 au 20 novembre.
A
Roissy, ça s'était d'abord un peu mal enclenché, parce que
j'étais en retard et que les services de déminages
s'apprêtaient à faire exploser une valise suspecte et donc
tous les accès à la salle d'embarquement étaient condamnés,
ce qui fait que nous étions, l'attaché de presse et moi,
coincés derrière une grille de fer, sans pouvoir rejoindre ni
l'avion ni Patricia, avion devant nous mener à Francfort et, de
là, au studio de la ZDF pour enregistrer le Die Super
Hitparade, qui doit être en Allemagne quelque chose comme
un super Michel Drucker Show mêlé d'une Chance aux Chansons.
Ce n'est qu'arrivé sur place (après que la valise eût été
déchiquetée, l'avion propulsé dans les airs, et que nous
eûmes traversé en minibus, après avoir atterri, des champs
d'usines de produits chimiques sentant très mauvais) que j'ai
enfin pu me présenter, un peu ému, non pas du tout que
Patricia Kaas soit intimidante mais bon, vous l'avez entendu
trois cent quarante fois à la radio chanter le blues, alors
évidemment, en vrai, ça fait toujours un peu quelque chose, et
lui dire - détail dont elle était déjà au courant - que je
venais faire un portrait d'elle et lui poser des questions. Cela
m'en a presque provoqué un début de bégaiement. Patricia m'a
tendu la main : "Enchantée, bienvenue parmi nous".
Et j'ai répondu : "Enchanté aussi, je suis bienvenu
parmi vous", avant de me reprendre, de sourire, et de
lui serrer la main. Elle
avait un léger accent, et elle était plus grande alors que je
la croyais - pourquoi ? Mystère ? - plutôt petite. Die
Super Hitparade annonçait une affiche de folie - Bonnie
Tyler, Johnny Logan, Demis Roussos... Demis Roussos ? Oui, Demis
Roussos ! - et Patricia en solo devait chanter Mon chercheur
d'or, ainsi qu'un duo avec un ténor baryton turc, Erkan Aki.
Les coulisses des studios ressemblaient exactement aux coulisses
du music-hall dans Tintin quand ils vont voir la
Castafiore, sauf qu'il n'y a pas de lanceur de couteaux et que,
Dieu merci, Patricia était nettement plus sexy que sa consœur
belge. Le temps est gris, j'ai préparé tout un tas de
questions, nous nous dirigeons vers la cafétéria des studios.
Plusieurs d'entre-nous prennent des tortellinis, Patricia une
Wurstsalat et une option sur une saucisse pour des raisons qui
me semblent éminemment proustiennes : quand elle était petite,
elle en mangeait souvent. Elle chante donc Mon chercheur d'or
où elle est tout simplement craquante et, dans son duo avec
le ténor baryton, le fait que sa voix à lui ait la puissance
d'un troupeau d'éléphants la fait paraître encore plus
vulnérable. Après une demi-heure de répétition, nous partons
à l'hôtel, où je peux commencer à poser mes questions
et, disons-le franchement, elle a un truc tellement chouchou et
gentil que vous êtes obligé réellement de fondre.
Dans
le film Let's Get Lost, Chet Baker raconte qu'il a su
enfant, dès sa première trompette en plastique, que c'était
cela et uniquement cela qu'il voulait faire dans la vie.
Avez-vous ressenti la même chose quand vous avez chanté pour
la première fois ? Les
premières fois où j'ai chanté, c'était avec un petit
magnétophone noir, dans ma chambre je me mettais devant mon
miroir et je prenais des poses avec le micro, ou avec le manche
d'une brosse à cheveux, et j'imitais des chanteurs jusqu'à ce
que j'entende la poignée de la porte tourner et, là, je
m'arrêtais, je ne voulais pas que ma mère me voie, alors que
pourtant, je n'étais pas quelqu'un de timide, mais ça me
gênait de chanter devant maman ce qui, je suppose, est normal
quand on est enfant. Et
la toute première fois que vous vous êtes retrouvée devant
des gens ? Le
toute première fois, je ne m'en souviens pas, mais je sais que,
très vite, je me suis mise à chanter partout. A l'école, le
maître me demandait de venir au tableau et de chanter pour la
classe, ou j'accompagnais mon père au café et je montais sur
une chaise et je chantais, ou au mariage de mon frère, partout,
je chantais tout le temps. C'était
complètement intégré au quotidien ? Forbach
était une petite ville où tout le monde se connaissait, je me
suis mise à faire des concours, dans les foires et les fêtes
foraines, on gagnait des sacs de bonbons, des Carambars, des
Malabars, des peluches, j'ai su très vite ce que je voulais,
c'était ça, chanter, pas spécialement devenir célèbre ou
faire des disques, mais chanter... (Quand
elle vous raconte ça, on ne peut pas s'empêcher de penser à
film anglais d'il y a quelques années, Distant Voices,
qui se passe en Angleterre, et où tout le monde chante, pour un
rien, au moindre tracas, dans les pubs, en famille, comme si
chanter était à la fois une chose naturelle et
l'accompagnement évident de l'existence, un peu comme ce que
lui a écrit Jean-Jacques Goldman pour son dernier album, Les
Chansons Commencent.) Et
ensuite ? Ensuite,
les premiers souvenirs qui me reviennent, c'est déjà des
souvenirs entre guillemets professionnels, le samedi soir, avec
un groupe. Là,
vous aviez quel age ? 9
ans, ce qui est la meilleure des écoles de chanter dans des
bals, des cabarets, avec un son pourri, de la reverb', mais bon
je m'en fichais, je pouvais chanter, c'était déjà
extraordinaire, mais ce qui explique aussi que je sois devenu
extrêmement exigeante, à partir du moment où l'on peut avoir
le meilleur, autant essayer de l'obtenir. C'est
quelque chose qui a du vous manquer, toute cette période.
Comment regardez-vous ça avec le recul ? En
tout cas comme une excellente formation. Par exemple, quand on
redémarre à l'étranger, au départ, vous n'êtes rien, tout
est à refaire et, du fait de mon itinéraire, ça ne m'effraie
pas, je sais ce que c'est que de travailler, de construire
quelque chose, pierre après pierre. Ca me permet aussi de
garder une distance avec ce que je vis. C'est certain que cela
peut paraître rétrospectivement un peu dur, mais, en même
temps aussi, c'est ça qui fait que je peux me dire si, pour les
autres, je suis maintenant une star, pour moi, je ne suis juste
qu'une fille qui aime chanter.. On
reste quand même bluffé devant votre réussite. Arrivant du
bout du monde, parlant à moitié pedzouille, pour vous en
sortir à Paris, dans le show-biz, sans compromission, avec
calme et gentillesse, vous êtes parvenue (avis unanime là-dessus) à vous faire aimer et respecter de tous. Au
début, c'est le public qui m'a aidée et surtout le fait de
savoir que ma mère allait mourir alors que je voulais qu'elle
voie mon succès avant de partir et j'ai mis toutes mes
forces là-dedans. Lorsque j'allais dans les studios, sur
les plateaux de télé, parfois on me disait : désolé,
mademoiselle, mais c'est privé, et je disais, si, si, je viens
pour l'émission, et j'avais Mademoiselle et rien ne
comptait, ni les difficultés ni mon manque de confiance en moi,
je voulais juste réussir et que ma mère puisse voir ça.
Et
elle l'a vu ? En
partie. Elle a vu le succès du disque. Mais pas sur scène.
Juste l'Olympia en première partie de Julie Piétri. Quand je
pense à l'Olympia, c'est toujours ce moment que je revois. (Cette façon en plus qu'elle a de vous
raconter ça, comment elle a débarqué ici, pour se retrouver
avec des gens souvent aux antipodes de ce qu'elle connaissait
chez elle, "un milieu honnête et gentil", et les
trucs avec sa mère, qu'on ne peut que se sentir proche, et
même si, comme elle le dit, ses textes ne sont jamais
autobiographiques, on comprends pourquoi ils touchent beaucoup
de gens). Mais ensuite le succès
est tellement merveilleux que peu importe que certaines
personnes que l'on croise soient fausses ou pas sincères, les
gens qui sont autour de moi ne sont pas comme ça.
(L'attaché
de presse revient taper à la porte, c'est l'heure, la vie des
vedettes, n'est-ce pas, et nous retournons aux studios où les
choses ont pris une certaines consistance, tout à fait...
exotique, André Rieu finit une valse et démarre un sirtaki,
puis Demis Roussos entre en scène, chantant nonchalamment des
paroles en anglais, avec des danseurs noirs sur le côté qui ne
bougent pas vraiment, mais plutôt qui oscillent au rythme d'une
mer en carton digne d'un décor de Méliès, et enfin ça y est,
c'est à Patricia, qui n'a ni danseurs new-yorkais, ni mer
ondulante, mais, par contre, un... chercheur d'or à qui elle
dit "que c'est quelqu'un, que ce n'est pas un Saint",
et tout un tas de douceurs comme quoi elle l'aime et le le
trouve canon. Dans le public, des gens agitent des drapeaux
français). Et
croyez-vous en Dieu ? Plus
maintenant. Plus depuis que mes parents sont morts. (Quand
elle sort de scène, elle s'inquiète parce qu'elle a buté sur
sa dernière phrase et que ses cheveux rebiquent, ses proches
ont beau la rassurer, elle garde ce regard anxieux de petite
fille furieuse d'avoir laissé échapper un détail le jour de
la fête de l'école, et c'est finalement l'image qui reste
d'elle, quelqu'un dont la maman est au paradis et la regarde et
qui met donc un point d'honneur chaque jour qui vient a essayer
de donner son maximum).
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