Avez-vous
le sentiment d'avoir beaucoup changé ?
J'ai
changé, mais en me ressemblant d'avantage. Je m'étais un peu paumée,
je me suis retrouvée. C'est vrai que j'ai vite créé un mur autour
de moi. A 20 ans, vous devenez indépendante et responsable, vous
devez prendre des décisions importantes. Vous avez la charge d'un
homme sur des épaules finalement moins larges. Or, aujourd'hui,
j'arrive à les accepter. Je suis moi. C'est en ce sens que je peux
dire que j'ai grandi. J'ai plus d'expérience...
Vous
publiez Piano Bar, un album de reprises de grandes chansons
françaises interprétées (pour la plupart) en anglais. Ce CD est
aussi la bande originale du film de Claude Lelouch, And Now...
Ladies & Gentlemen, dont vous êtes l'héroïne. Pourquoi ce
disque ?
J'avais
ce projet depuis longtemps, sauf que je l'ai toujours repoussé.
J'attendais le bon moment. Or, quand Claude Lelouch m'a offert ce
rôle, les deux projets se sont liés, et l'album est apparu comme
évident. J'espère qu'on ne me demandera pas pourquoi je chante en
anglais. J'avoue que les réactions me font un peu peur. On verra !
Une
carrière américaine, ça vous tente toujours ?
Je
ne vais pas vous dire non. En revanche, je ne donnerais pas un an de
ma vie pour convaincre les américains... Ca, je l'aurais fait à 25
ans, pas aujourd'hui ! J'irais, j'en parlerais, mais je ne me
battrai pas.
Auriez-vous
moins d'ambition, moins de rage qu'à 25 ans ?
Non.
Mais lorsqu'on a 25 ans, on n'a pas peur de perdre des années.
Maintenant, je n'ai plus envie de ça. J'ai d'autres priorités, et
je ne vais pas m'investir comme je l'aurais fait autrefois. C'est
peut-être une erreur, car, lorsque j'ai commencé, avec Mademoiselle
chante le blues, j'ai dû me battre. On me reprochait de ne pas
être assez commerciale, de chanter trop bien... Finalement, forcer
un peu les portes m'a aidée ! Mais bon...

Comment
en êtes-vous venue à ce film ?
Quelques
mois avant que Claude Lelouch ne m'appelle, j'avais décidé de
prendre une année sabbatique : j'avais enchaîné quatorze ans de
tournées, e je voulais me reposer un peu. Mais ça n'a pas duré.
Au bout de deux mois, je m'emmerdais franchement ! (rires) Quand
vous avez zappé mille fois sur toutes les chaînes de télé, vous
finissez pas tourner en rond. Je me disais que j'allais faire du
sport, et plein d'autres choses, mais je n'étais pas du tout
motivée. Alors, la rencontre avec Claude est vraiment bien
tombée... Toute tremblante, j'ai passé une audition. J'avais envie
d'essayer. J'aimais l'histoire, et le fait que le personnage soit
chanteuse de piano-bar était une façon de mettre mon pas dans
quelque chose que je connaissais à moitié. Mais j'avais vraiment
très peur.
Parlez-nous
de votre personnage ?
Jane
a eu beaucoup de déceptions amoureuses, et elle décide de partir
faire une tournée au Maroc dans des grands hôtels. Là-bas, elle
se rend compte qu'elle a des trous de mémoire. Elle va rencontrer
un anglais gentleman cambrioleur qui a les mêmes symptômes
qu'elle. Une curiosité s'installe entre-eux en même temps qu'une
complicité. En fait, c'est l'histoire de deux personnages qui
apprennent à s'aimer, mais l'histoire d'amour commence quasiment
après le film...
Vous
ressemble-t-elle ?
Elle
est chanteuse comme moi. Et comme elle j'ai eu des déceptions
amoureuses. C'est tout ! Certes, elle est très triste, mais
j'espère que, sur ce point, on ne fera pas le lien avec moi.
Justement
: "Je l'ai choisie parce qu'on sent une tristesse en elle,
c'est quelqu'un plein de cicatrices", a dit Claude Lelouch.
Qu'est-ce que cela vous inspire ?
(elle
sourit) Il m'a même dit : "Quand tu souris, je vois de la
tristesse dans ton regard !" C'est drôle : lorsque je
regardais les yeux de mon papa, je voyais ça aussi... Disons qu'il
y a du vécu. Quand, à 20 ans, vous n'avez plus votre maman et que
vous passez de l'adolescente à la jeune femme, quand vous perdez
votre papa très jeune, forcément vous devez garder ça quelque
part dans votre cœur et dans votre tête... Cela se lit sûrement
dans mon regard. Même si j'arrive à sourire, même si j'arrive à
être heureuse... Mais si Claude voit cela, moi, quand je me réveille
le matin, et que je me regarde dans le miroir, je ne vois pas ça du
tout ! (rires)
Vous
vous sentez mélancolique ?
Je
le suis parce que je n'oublie pas mon passé. Mais je ne suis pas
quelqu'un qui se plaint. Comment se plaindre, d'ailleurs ? J'ai une
belle vie, je n'ai pas le droit ! D'accord, cela fait plus d'un an
et demi que je suis très solitaire. Mais c'est parce que je l'ai
voulu ! On a tous besoin de moments de solitude : être seule, c'est
aussi apprendre des choses. La vie est peut-être tracée, mais l'on
reste maître de nos choix, et je ne veux pas qu'on dise que je suis
une femme triste. Très souvent, lorsque je donne des interviews, même
quand j'insiste sur ce point, je retrouve ensuite des titres qui
vont en ce sens : La femme blessée, par exemple. Non, ça ne me
ressemble pas !
"Le
succès, on le paye par la solitude", dites-vous souvent...
Oui...
Au début, je pensais qu'il n'y avait pas de différence entre un
homme et une femme. J'ai changé d'avis ! C'est beaucoup plus dure
pour une femme...
Pourquoi
?
Lorsqu'on
est face à une femme indépendante, il y a toujours un certain
recul, un certain respect qui est certes plutôt flatteur. Mais si
vous n'avez pas le caractère d'aller de l'avant, alors vous vous
retrouvez vite dans la solitude...
Cette
indépendance ferait-elle peur aux hommes ?
Aux
autres, oui ! Bien sûr, davantage aux hommes, car leur ego est
bousculé. Mais les femmes sont dérangées aussi. Bon, c'est peut-être
moi qui ai toujours eu une telle attitude qu'on n'a jamais osé
m'approcher, mais je constate que les femmes restent également en
retrait.
Pourquoi
donc l'ego des hommes serait-il bousculé ?
Quand
il est à côté d'une femme qui gagne bien sa vie, un homme ne se
sent pas forcément à l'aise. Il a toujours envie de se sentir supérieur
dans ses rapports amoureux. Or, dans mon cas, ce n'est pas facile !
Les
hommes, vous les voyez comment ?
Je
ne sais pas pas... (elle réfléchit longuement) J'aimerais ne pas
faire peur aux hommes. Oui, c'est ça : j'aimerais ne pas leur faire
peur ! Je leur fais peur parce que je suis qui je suis, et cela, je
ne peux pas le changer. Mais il y a aussi un truc (je ne sais pas
quoi !) qui fait que j'ai une image que ne me correspond pas. Celle
d'une femme fatale, inaccessible, qu'on a peur de décevoir ou je ne
sais quoi d'autre. Ca me fait toujours rire parce qu'en fait, c'est
moi la timide dans l'histoire. Lorsqu'on me dit ça, et que je
demande pourquoi ils ont cette sensation, très souvent on me dit :
"Parce que quand on te prend dans les bras, on a envie de te
garder !" Ca leur fait peur, ce sentiment. C'est plutôt un
compliment d'ailleurs...
Et
vous, tombez-vous amoureuse facilement ?
Non.
J'ai eu des expériences qui font qu'aujourd'hui je suis un peu méfiante.
Mais, en revanche, lorsque je sens que l'on s'attache à moi, je
suis plutôt du genre très amoureuse...
Comment
doit-il être ?
Oh,
il n'y a pas de règle ! Il est clair qu'il doit être indépendant.
Et puis, il faut qu'il ait vécu. C'est beau un mec de 25 ou 30 ans,
mais il me faut un homme d'expérience. Un homme qui n'ait pas peur
de me bousculer un peu. Ceux qui disent "oui" tout le
temps, j'en ai eu, et cela m'a beaucoup attirée. Mais je préfère
avoir quelqu'un derrière moi qui me "booste", qui me fait
avancer.
Un
macho, donc ?
Non,
pas macho ! Un mec qui dirige. Un homme, quoi... Pas un gentil.
(elle sourit)
Lorsque
vous avez annoncé votre décision de prendre une année sabbatique,
ce devait être pour faire un bébé ? Auriez-vous changé d'avis ?
Non,
contrairement à qu'on a dit, je ne me suis pas arrêté pour cela.
La preuve, je n'en ai pas ! Mais, moi qui ai cinq frères et une sœur,
j'aimerais bien connaître le sentiment d'être maman.
Cela
vous paraît-il conciliable avec votre carrière ?
Je
ne me pose pas la question. S'il faut sacrifier un bout de quelque
chose, ça en vaut la peine de tout façon !
C'est
donc le prochain grand projet ?
Oh,
ce n'est ni un projet, ni un but ! L'envie est là depuis un bout de
temps déjà. Disons que je ne voudrais pas arriver à 40 ans sans
avoir eu d'enfant. Je me dirai que j'aurais raté quelque chose
d'important dans ma vie de femme. Ma carrière, c'est bien, c'est
beau, et je ne pourrais pas faire marche arrière. Mais je ne
voudrais pas manquer ça non plus.
Avec
le papa idéal, bien sûr...
De
préférence, mais ce qu'il faut surtout, c'est un papa plein
d'amour. Le reste, peu importe... Il ne faut pas se dire qu'il devra
être comme ci ou comme ça, mais plutôt que cet enfant devra être
conçu avec passion et amour. Si, un an après, je m'aperçois que
ce n'était pas le bon mec, tant pis ! Cela aura quand même été
le bon moment, puisqu'il y aura eu cet instant fort entre nous...
Vous
avez beaucoup changé ces dernières années, y compris
physiquement. Vous paraissez plus sereine, plus épanouie. Comment
l'expliquez-vous ?
Et
pourtant, je n'ai rien fait changer, hein ! (rires) Je pense que le
fait d'avoir pris un peu de recul et d'être passée par ces moments
de solitude voulue m'a aidée à me sentir mieux. Oui, je me sens
vraiment mieux !... Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que ce sont
les années qui passent, tout simplement.
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1999-2003